C'est à l'échelle mondiale qu'il faut désormais inventer de nouveaux concepts mobilisateurs, pour parvenir à cet idéal : l'égalité en dignité et en droit de tous les êtres humains.

Françoise Héritier, anthropologue, ethnologue, féministe, femme politique, scientifique (1933 – 2017)

Le Sénat vote une loi qui interdit les violences physiques ou psychologiques à l’égard des enfants

Ce mercredi 6 mars, le Sénat a adopté en première lecture la proposition de loi de Lutte contre toutes les violences éducatives ordinaires, déposée par Laurence Rossignol le 22 janvier dernier.

Depuis sa création en 2005, l’Observatoire de la violence éducative ordinaire a œuvré pour cette prise de conscience de l’impact extrêmement nocif de la violence éducative ordinaire. Une part importante de notre réflexion et de notre action a porté sur cette exigence d’une législation enfin protectrice de l’intégrité physique et psychique de tous les enfants.

Le texte voté est le suivant :

Après le deuxième alinéa de l’article 371‑1 du code civil, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« L’autorité parentale s’exerce sans violences physiques ou psychologiques. »

Des amendements qui visaient à renforcer la prévention et la sensibilisation n’ont pas été retenus : l’information dans les lieux d’accueil de mineurs et de parents, la formation des professionnel-le-s de la petite enfance, le rapport du gouvernement remis au Parlement concernant les mesures d’accompagnement.

L’OVEO considère que ce vote au Sénat, à la quasi-unanimité, représente une étape importante dans le processus d’abolition de la violence éducative ordinaire. Cette décision est le signe d’une évolution de la prise de conscience des législateurs et d’une partie de l’opinion publique.

Pas de référence aux châtiments ou punitions corporels

Malheureusement, les termes « punitions ou châtiments corporels » ont été retirés du texte initialement déposé. En ce sens, et de la même façon qu’en novembre dernier, nous regrettons que la volonté du législateur n’ait pas été entièrement retranscrite dans le texte de loi voté.

L’usage de l’expression « violence physique ou psychologique », employée seule, ne permet pas que le texte soit suffisamment explicite. La formule « violence physique », plutôt assimilée à la notion de « maltraitance », risque de laisser dans un angle mort la question de la violence éducative ordinaire.

En effet, si le titre et l’exposé des motifs sont clairs, la « violence éducative ordinaire » – c’est-à-dire l’ensemble des pratiques coercitives et/ou punitives utilisées, et socialement tolérées, pour « bien éduquer » les enfants, n’est pas explicitement condamnée par ce texte de loi.

Les punitions corporelles ne sont pas considérées comme de la violence par la plupart des adultes. Ainsi, les termes de « violences physiques » restent sujet à la libre appréciation de l’expérience de vie et le degré d’information de chacun.

L’ONG Global Initiative to End All Corporal Punishment of Children, que l’ONU consulte régulièrement au sujet des législations sur les châtiments corporels, a rendu son avis sur ce texte le 28 février 2019 : « […] puisque la proposition de loi semble avoir pour objectif d’interdire tous les châtiments corporels infligés aux enfants, la loi devrait refléter ceci de manière claire et explicite, comme l’exige la Convention internationale des droits de l’enfant. La décision de supprimer la référence explicite aux châtiments corporels pourrait être interprétée comme diluant la loi. »

Le droit de correction n’est pas supprimé

Deux points essentiels n’ont pas été intégrés : l’annulation explicite du droit de correction dans le texte, et l’extension du principe d’interdiction à tous les lieux de vie de l’enfant.

Le droit de correction jurisprudentiel, supprimé pour les femmes, les employés, les militaires et les prisonniers, demeure pour le moment applicable aux enfants. Or, nous attendions que la loi soit claire sur le fait qu’un coup – qu’il soit administré par malveillance ou au prétexte d’éducation – est injustifiable. Nous espérons que les juges feront évoluer la jurisprudence en considérant qu’aucun droit de correction ne saurait désormais être invoqué pour minimiser ou exclure la responsabilité d’un adulte (parent, enseignant ou éducateur) ayant commis des faits de violence envers un enfant, quel qu’en soit le degré de gravité, la fréquence ou le motif.

Nous espérons que, dans les prochaines étapes de ces propositions de loi, l’écriture du texte de loi reprendra ces éléments afin d’être en accord avec les textes internationaux signés par la France.


Notre communiqué de presse en date du 7 mars 2019 (.pdf)

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